• LA MONTAGNE DE MOTS, Marie Gauthier - suite

     

    La montagne des mots est un livre intéressant en tant qu’expérience humaine, mais qu’en est-il du style ? Est-ce de la littérature ? Et bien oui, assurément. Car l’auteur sait jouer avec les mots et leur inventer une étymologie affective. Par exemple « même » devient « m’aime » ou « encore » devient « en corps », non par jeu gratuit, mais pour faire comprendre au lecteur que c’est véritablement dans son corps de femme que se cache la douleur. Il y a donc là une capacité à manier la langue qui surprend et qui ravit à la fois. Par exemple, quitter Paris pour oser une autre vie devient « il y aurait un avant et un après "pari" » (p 68) ou bien, pour décrire la découverte du virus de la lecture, dans la librairie paternelle on dit: « C’est en ces lieux que j’ai lu pour la première fois les nouvelles de Maupassant, derrière les "états j’erre" sur mon tabouret planqué dans la réserve. » (p.87)
    Dédoublement du sens des mots, donc mais aussi dédoublement des personnages, à commencer par l’auteur, qui parle d’elle en « je » mais aussi en « elle ». Passer de la première à la troisième personne, c’est changer de registre et donc quitter la pure introspection pour poser subitement un regard détaché, extérieur, sur soi-même. Mais cela ne s’arrête pas là, car tous les rôles que remplit un être humain sont décryptés. L’auteur est tout à la fois fille, épouse, mère, amante, citoyenne, femme de ménage, cuisinière, artiste, etc. Bref, les mille fonctions que nous accomplissons tous chaque jour sans bien nous en rendre compte sont ici décortiquées. Chacune, prise isolément, ne constitue qu’une partie de nous-mêmes mais est-ce que l’addition de toutes ces fonctions forme notre être intime ? Rien n’est moins sûr. Ce sont plutôt des tâches que nous accomplissons, sans plus. Reste à retrouver cet être intime et c’est ce que tente de faire ce livre, dans une démarche qui est finalement ontologique.


    Mais Marie Gauthier ne s’arrête pas là. A côté de son être multiple qu’elle tente de réunifier en un tout cohérent, il y a les autres, tous les autres êtres humains. Alors, parfois, quand elle a bien exposé son point de vue sur un événement ou un sentiment, elle se retire de son rôle de narratrice en « je » et laisse parler un personnage extérieur (l’agresseur, le mari, l’enfant, l’amant, l’ami, etc.) qui vient donner sa propre version des faits, laquelle ne correspond pas forcément à celle de l’auteur. On se rend compte alors que tout est subjectif et que derrière les faits réels, ce qui compte surtout c’est la manière dont nous les abordons et les analysons. Ce procédé, qui permet de dépasser la simple biographie, donne au livre une dimension supplémentaire. Il permet en tout cas à l’auteur de prendre du recul et de voir de l’extérieur les éléments tragiques qui constituaient sa vie. Au-delà du simple procédé de style, c’est encore une manière de dédramatiser et de retrouver l’équilibre intérieur tant recherché, ce qui était bien le but de ce livre : se sauver par l’écriture

     

    LA MONTAGNE DE MOTS, Marie Gauthier, Editions Flam, Sète, 145 p., 12 €


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